AAHA = Amicale Alexandrie Hier et Aujourd'hui : www.aaha.ch

RENCONTRES ET REUNIONS

Grand rassemblement de l'AAHA à Paris, 

du 3 au 5 juin 1995

 

MOT DE BIENVENUE DE SANDRO

 

Habaiebna Awlad Eskenderia, Chers amis d'Alexandrie et d'ailleurs.

Toy se joint à moi pour vous dire : Ahlan wa Sahlan !

Permettez-moi de vous présenter Toy - Fofo - Françoise Bruck-Azoulai. La voici en chair et en os. C'est elle qui a eu la naïveté, mais surtout la générosité et le courage de me répondre un jour : "Sandro, je suis prête à t'aider à organiser un rassemblement à Paris". Elle ne soupçonnait pas combien certains Alexandrins sont restés indisciplinés ! Maalech !

Quant à celui qu'on nomme El Makkar Ebn Hadra, à cause de son humour un peu baladi, le voici enfin devant vous! (J'espère que toutes les filles qui ne me connaissaient pas et qui m'ont écrit vouloir me voir ne seront pas trop déçues!)

Qu'est-ce qui a poussé près de 200 personnes, certaines venant de très loin, à participer à ce rassemblement?

Ce n'est pas l'appartenance à une même tradition, ou à une même nation. Ce n'est pas n'ont plus d'avoir fréquenté la même école!

Ce qui nous rassemble aujourd'hui, c'est d'avoir passé notre jeunesse à Alexandrie. Ceci est valable aussi pour les Cairotes pour qui Alexandrie était synonyme de vacances et de jolies filles qui se promenaient en costume de bain, une pièce, au bord de la mer.

Je pense que la majorité d'entre vous a perçu dans ce rassemblement une occasion et un privilège de pouvoir évoquer un peu ce passé d'il y a 30 ou 40 ans, mais qui reste si vivant en nous!

J'ai pris le risque avec Toy et quelques autres bénévoles d'organiser ce rassemblement pour vous donner l'occasion de retrouver des connaissances de votre jeunesse, de rencontrer des personnes qui ont un peu les mêmes racines que vous, enfin de découvrir des facettes encore inconnues d'Alexandrie.

L'Alexandrie de notre jeunesse était une cité très particulière à bien des égards. Elle fera l'objet de vos témoignages, que j'espère nombreux!

De toutes les Alexandries qui se sont succédé dans l'histoire, celle qui aujourd'hui me fascine le plus (j'admets volontiers que je la connais peu et que je l'idéalise beaucoup) c'est la première, celle des Ptolémées, et cela à cause de la fameuse Bibliothèque et de Cléopâtre.

La Bibliothèque est pour moi le symbole de l'ouverture sur l'extérieur et du fait que le passé est considéré comme important pour le présent. Vous aurez remarqué j'espère que notre amicale se veut très ouverte et qu'elle cultive la mémoire du passé!

Cléopâtre est pour moi le symbole d'une société où la femme peut accéder aux plus hautes fonctions, une société sans discrimination.

L'Alexandrie de mes rêves est une cité ouverte sur l'extérieur et sans discrimination à l'intérieur!

Cette cité qui peut déjà exister dans le coeur et l'esprit de certains d'entre nous a un hymne, c'est l'hymne de l'AAHA : Eskenderia ahsan Nass! que vous entendrez souvent aujourd'hui et demain!

Ana we Toy fenetmannalco Auat saida wa Aadat helwa akher Mazagh!

Toy et moi vous souhaitons beaucoup de plaisir durant ces deux jours!

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ELOGE DU COSMOPOLITISME

Par Paul Balta

Alexandrie, ville de mon enfance, n’est plus qu’un souvenir. La Cité du Macédonien n’est plus qu’un mythe. A-t-elle d’ailleurs été autre chose qu’un mythe et une immense nostalgie.

 Lieu de toutes les rencontres, de tous les métissages, de toutes les synthèses, elle a été, dès sa naissance et à chacune de ses renaissances, la ville cosmopolite par excellence. Et son cosmopolitisme fut un humanisme. Cette Alexandrie est morte, assassinée par les nationalismes modernes. Nul ne peut dire quand elle renaîtra de ses cendres spirituelles. Mais l’espérance demeure car cette cité à éclipses a toujours connu une alternance de morts et de résurrections, de grandeur et de déclin.

 L’Alexandrie de mon enfance est éparpillée aux quatre coins du monde. Elle nourrit la mémoire de ces Alexandrins cosmopolites dans leurs nouvelles patries. Dans leurs villes d’adoption, il leur arrive de se réunir. Ils parlent rarement du cataclysme qui les a emportés ; par pudeur, peut-être aussi par superstition. Il est des blessures qui ne se cicatrisent jamais. Chacun les soigne à sa manière. En sirotant le matin, solitaire et songeur, comme un rituel, un café turc ; en mangeant de temps à autres en famille un plat de « fouls » ; en partageant avec les amis une soupe de lentilles ou une « molokheya » ; en composant des chansons que fredonnent les jeunes du pays d’adoption ; en écrivant des essais qu’apprécient les « happy few » et des romans qui séduisent le grand public ; en tournant des films qui s’adressent à tous mais dont seuls quelques un comprennent le sens ésotérique.

 Mémoires d’exil paradoxalement créatrices ...  

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Allocution de Robert SoIé

Nous sommes les uns et les autres, comme l'a dit Paul Balta, les témoins d'un monde... que nous n'acceptons pas d'oublier.

Ce monde là, beaucoup d'entre vous ne se consolent pas de l'avoir quitté. Souvent, ils ne l'ont pas quitté dans de bonnes conditions. Ils ont même été expulsés d'Egypte. D'autres, c'est le cas de ma famille, n'ont pas été expulsés. Ils sont partis dans une sorte d'exil volontaire. Mais je crois que cet exil-là était encore plus douloureux qu'un coup de pied au derrière!

Beaucoup ont eu tendance, dans les armées suivantes, à tourner la page, à fuir ce "paradis", à ne plus vouloir regarder en arrière.

Et puis les années ont passé, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts du Nil et un jour on a éprouvé le besoin de revenir en arrière, de retrouver la trace de ses pas. On a voulu comprendre pourquoi nos parents, nos ancêtres étaient venus s'installer en Egypte. On a voulu comprendre pourquoi nous avions si bien vécu en Egypte, pourquoi un jour nous en étions partis et pourquoi nous restons au fond de nous-mêmes tant attachés à ce pays.

Ce retour, chacun l'a fait timidement, avec inquiétude, avec beaucoup d'émotion. Les années ont passé, chacun de nous a changé et parce que ce pays lui-même a changé, physiquement, on l'a dit, et, je dirais, humainement. J'étais, il y a une semaine en Egypte, je l'ai encore constaté. C'est une autre Egypte qui existe aujourd'hui, très différente de celle que nous avons connue. Mais ce qui est le plus frappant et le plus touchant, en fin de compte, et chaque fois que je retourne en Egypte j'ai le même sentiment, ce qui me touche le plus, ce n'est pas ce qui a changé, c'est ce qui n'a pas changé. Les sites d'hier qui ont enchanté mon enfance, mon adolescence ainsi que les générations qui nous ont précédées, dont j'ai connu moi-même, enfant, les derniers beaux jours, cette Egypte-Ià était un monde, je pense, dont lequel des gens différents avaient appris à vivre ensemble. Ce n'était pas ce qu'on appelle un «melting pot» à l'américaine. Ce n'était pas non plus ce que nous disons ici en Europe l'assimilation ou l'intégration. C'était autre chose, c'était un autre modèle.

Dans cette Egypte-là chacun tenait à sa communauté et se définissait par sa nationalité, par son origine nationale ou par sa religion. Chacun avait une identité forte et parce qu'il avait une identité forte, il pouvait, sans crainte, entrer en relation avec le voisin, italien ou grec, français, musulman ou juif. Naturellement, ce modèle de cette Egypte dont nous parlons n'est pas exportable dans l'espace et dans le temps. Aucun de nous n'imagine de transposer en Europe ce qui existait en Egypte. Aucun de nous n'imagine que ce qui existait en Egypte dans les années 20, 30, 40 est transposable dans l'Europe de la fin de ce siècle.

Ce modèle n'est pas exportable, mais, je pense qu'à une époque comme la nôtre, un monde comme le nôtre, traversé de mille conflits ethniques ou religieux, dans un monde qui est marqué par la peur ou par la haine, de tout ce qui est différent, il est peut-être intéressant de rappeler que des gens différents avaient appris, sinon a vivre tout à fait ensemble - n'embellissons quand même pas trop le passé -, du moins à cohabiter de façon harmonieuse. Cette cohabitation avait fait naître une société vivante, une société où l'on vivait intensément, une société inventive, dynamique, attachante, qui a marqué pour toujours ceux qui ont eu la chance de la connaître. Nous ne sommes pas d'anciens combattants réunis ici. Nous ne combattons rien, sinon peut-être l'intolérance, le manque de souplesse que nous constatons souvent autour de nous. Ceux qui n'ont pas eu la chance de vivre sous ce ciel là ont la détestable habitude de se heurter au monde, et de créer immédiatement deux blocs antagonistes.

Nous avons appris la souplesse et la tolérance. Nous avons de la nostalgie, on l'a dit, je crois que nous n'avons pas vraiment de l'amertume, en tout cas, il ne faut pas en avoir. Nous ne cherchons pas à opposer à tout prix l'Egypte d'aujourd'hui à l'Egypte d'hier, ce n'est pas très intéressant. Mais si nous éprouvons le besoin d'en parler, d'en laisser une trace, c'est parce que nous savons que ce monde là avait des mérites, malgré tous ses défauts. Nous ne parlons que de ses qualités, pas question de parler de ses défauts, et c'est peut-être une leçon de tolérance sur laquelle beaucoup de gens gagneraient à méditer aujourd'hui. Alors cette Egypte d'hier, chacun de nous en témoigne à sa manière. Moi je le fais comme je peux, je le fais à travers mes livres. Ce qui me frappe à travers toutes les réactions, les lettres que je reçois, c'est que tous les lecteurs directement concernés, c'est-à-dire des gens comme vous, réagissent à peu près de la même manière : dans cet univers cosmopolite dont Alexandrie était le fleuron, il n'y a pas de véritable frontière entre Egyptiens de souche et Egyptiens d'adoption, entre Italiens d'Egypte, Grecs d'Egypte, entre Syriens, Français, musulmans, juifs ou chrétiens. Mais de cette Egypte-là, tout le monde ne témoigne pas à travers des livres. Tout le monde n'est pas obligé de le faire. Je crois que le plus beau témoignage, c'est une certaine attitude, un certain comportement, une certaine chaleur humaine, cette chaleur humaine qui fait vibrer cette salle et dont vous êtes les meilleurs témoins. Merci.

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BALLADE AUX "ANCIENS" DU LYCEE FRANCAIS D'ALEXANDRIE

Par Clairette Salama

 

                               Ah! combien nous gardons douce souvenance

                               D'Alexandrie où s'écoula notre enfance,

                               Du Lycée où fleurit notre intelligence

                               Et s'ouvrit le chemin de nos espérances.

                               Grâce à Sandro et Toy, nos réminiscences,

                               Voient, ici, à Paris, une autre renaissance.

 

                               Aujourd'hui, ils offrent aux Lycéens d'autrefois,

                               "Une belle aventure", parsemée de joie,

                               Un festival de lumière et de chaleur,

                               Plaisir partagé des retrouvailles, douceur

                               Des moments fugaces qu'on garde au fond du coeur.

                               Effluves de jeunesse teintées de fraîcheur.

 

                               Notre mémoire fait jaillir devant nos yeux

                               Un coin de la cour qui a vu nos jeux

                               Et plus tard a retenti de nos cris joyeux.

                               Rà dardait ses rayons ardents et lumineux,

                               mais malgré la brillance d'Amon et ses feux,

                               Sous le ciel d'Egypte, nous rêvions à d'autres cieux.

 

                               Nous voici rassemblés sous le ciel de Paris,

                               Aux vaillants organisateurs, disons merci,

                               Ils nous permettent d'évoquer Alexandrie

                               Ses plages, sa corniche, ses jardins fleuris

                               Nous leur devons profonde reconnaissance

                               Pour ce génial "rancart" en Ile de France

 

ENVOL

                               Les journées tissées de satin et de velours

                               Semées de souvenirs, prévues avec amour

                               Seront célébrées dans la gaité tour à tour

                               Chacun des convives offrira son concours.

                               Le passé égyptien reste toujours vivant,

                               Car il a fusionné avec le temps présent

                               Dans un creuset où rêves et projets s'alliant

                               De concert, donnent au futur la couleur du temps.

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Alexandrie d’hier ... et d’aujourd’hui !

Par Linette Perez-Louza 

Mon retour à Alexandrie après vingt cinq ans

              Fut l’un de mes voyages les plus marquants

J’essayerai de vous décrire avec des mots

              Sans aucune photo

Ce que j’ai vu et ressenti

              Mais il faut plus d’une page pour une tranche de vie 

 Je ne tardais pas à m’apercevoir

              Qu’il y a plusieurs façons de voir

Objectivement et sans rancoeur

              J’ai vu avec les yeux et j’ai vu avec le cœur

 Je débutais mon voyage

              Par un pèlerinage

Et c’est vers ma maison

              Que mes pas me conduisirent naturellement  

Quel délabrement !

              Même la rue a changé de nom !

Il ne reste plus qu’une ruine sur un terrain vague

              C’est comme si mon passé me nargue  

Incrédule, je me frotte les yeux

              Et soudain, je vois le terrain de jeux

Où avec mes frères et nos amis

              On s’amusait jusqu'à ce que tombe la nuit

Le mirage est d’une telle ampleur

              que je retrouve même la senteur ... 

Du jasmin

              De notre jardin

 Poursuivant mon périple systématiquement

              J’arrive devant « le bâtiment »

Celui que j’ai fréquenté assidûment

              Tous les jours

Témoin passif de mes peines et mes amours

              Le Lycée ! Je dirais plutôt la Mission Laïque Française

Ne vous en déplaise !

              Dans son nouvel environnement

Décadent

              J’ai du mal à le reconnaître

Le traître !

              Alors pourquoi faire semblant ? Et pour marquer mon désaveu

Je lui tourne le dos et ferme les yeux

               D’un coup, les années se sont effacées,

Je me revois à la sortie du lycée

              Marchant en rang deux par deux

En uniforme

              Avec ce chapeau informe

Rabattu sur les yeux

              Et flanquées d’une surveillante encombrante

Dont la tâche ingrate était de nous empêcher de flirter

              Avec les garçons qui nous attendaient

Tout en espérant nous conduire sans défection de notre part

              Jusqu'à la gare de Camp-de-César

 Avec un sourire nostalgique

              J’ouvre les yeux

Et sans aucune logique

              Quitte les lieux !

L’ayant programmé

              Je vais à la Gare de Ramleh

C’est l’un des endroits qui a changé ... en bien

              Tout a été refait, en plus beau, plus propre, on en a pris grand soin

Il n’empêche que j’ai un choc !

              Je cherche des yeux, en vain

Le vieux kiosque de bois peint

              Où à toute heure du jour et de la nuit

Se donnait rendez-vous la jeunesse d’Alexandrie

              Mais qu’importe !

L’impression est si forte

              Que j’entends le brouhaha

De tous ces jeunes qui se retrouvaient là

              Et je les vois, comme si c’était hier

Les bras chargés de sandwichs, de cocas et de bières

              C’est justement en pensant aux excursions

Que sans transition

              Je me dirige vers la plage ...

D’émotion, je suis en nage

              De cette corniche, à mes yeux, unique

Il n’en reste qu’une pitoyable réplique

              On a tellement construit en hauteur

Que par endroit la mer n’est plus visible aux promeneurs

              J’ai de la peine à situer la plage

Où, avec rage

              De mémorables parties de raquettes

Entrecoupées de trempettes

              se déroulaient ...

Je me sens frustrée !

J’ai vu une ville reconstruite

              Souvent décevante, quelques réussites

Mais la famille, les copains, les amis

              Tout ce qui faisait l’âme d’Alexandrie

Sont partis

              Et sans âme, il n’y a pas de vie.

Arrivée au terme de mon voyage

              J’ai compris que j’ai enfin tourné la page

Mais je sais aussi que dans mon cœur

              Je garderai la même ferveur

Et une immense tendresse

              Pour l’Alexandrie de ma jeunesse.

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Il était une fois...

Jacqueline AMIEL 

 Ainsi commençaient toutes les belles histoires de notre enfance et dès qu’on entendait la petite phrase magique, les yeux brillaient d’impatience de connaître la suite de ce merveilleux préambule « il était une fois ... »

 Eh bien aujourd’hui je vais, une fois encore, vous raconter une belle histoire, belle et extraordinaire qui, comme les contes de jadis, défie le temps qui passe.  

 Elle se déroule en deux épisodes situés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre : le premier se passe en Egypte et le second en France. Le premier a duré dix ans et le second à peine quelques jours, quelques heures. Entre ces deux épisodes, quarante années se sont écoulées !

 Quarante années de silence, mais non pas d’oubli...

 Il était donc une fois ... une joyeuse bande de filles qui vivaient à Alexandrie entre les heures studieuses du Lycée Français et celles des jeux, des promenades, de la plage, des bavardages et des confidences, des fous rires et des larmes vite séchées.

 La vie s’écoulait paisiblement, le soleil brillait chaque jour et chaque jour la mer était plus verte et le parfum des fleurs embaumait. Les rues avaient gardé le charme du XIXème siècle occidental mélangé aux couleurs et aux odeurs de l’Orient. Les tramways grinçaient, les marchands criaient : «  coulouria, cacola-beb’s, roba békia »  Les passants s’interpellaient d’un trottoir à l’autre avec des mots arabes, français, italiens ou grecs qui s’entremêlaient joyeusement. Le spectacle était permanent ...

 Les années passaient, les fillettes devenaient jeunes filles, les esprits s’éveillaient et puis arriva la grande épreuve qui devait marquer solennellement la fin du premier épisode, le baccalauréat ...

 Les destinées diverses allaient alors disperser aux quatre coins du monde celles qui pendant dix années ne s’étaient jamais quittées.

 Quarante années passèrent. Et puis, un jour du mois de juin de l’an de grâce 1995, comme par un coup de baguette magique et le savoir-faire du magicien Sandro Manzoni , vingt-cinq anciennes élèves et quelques uns de leurs professeurs se retrouvèrent à Paris !

  Quarante années effacées et tout à coup ...

 J’ai reconnu une voix, une intonation, j’ai retrouvé un regard, un éclat de rire et, avec des cris de joie et des larmes d’émotion, je vous ai toutes serrées dans mes bras et toutes m’ont embrassée.

 Les exclamations éclataient, les questions fusaient de toute part ... Dany, Liliane, Liane et Liliane, Tuna, Joyce et Joyce, Laura, Simone, Arlette, Etty, Viviane, Nicole, Eliane, Denise, Rose-Marie, Sonia, Danièle, Mireille, Josette, Racheline, Fortunée, Fofo et Ada ...   

 «  Ce n’est pas vrai .. « -« C’est toi ... «- « Tu n’as pas changé ... « - « Comme je suis heureuse ... ! » - «  Tu te souviens ... »

 J’aurai aimé avoir chacune de vous pour moi toute seule, pour mieux vous retrouver et je ne savais plus à qui parler, qui regarder, qui embrasser. Tous les yeux brillaient de larmes et d’exaltation, tous les yeux se cherchaient.

 Quelle conclusion tirer de cette aventure inimaginable ?

 C’est que, malgré quarante années passées, quarante années de vie de femme avec tout ce qu’elles ont pu comporter de joies et de peine, nous étions restées les mêmes .

 Certes, les apparences avaient changé, mais nos coeurs étaient restés intacts puisque les souvenirs de notre jeunesse revivaient avec autant d’intensité.

 Ces quelques heures de bonheur volées au destin étaient la preuve que nous ne nous étions jamais quittées.

  N’est-ce pas que mon histoire était belle ?

 

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TEMOIGNAGE DE JOYCE DE BOTTON-MAGAR

 Il est un peu difficile pour moi qui suis après tout une Américaine de m'adresser à vous après avoir entendu les présentations éloquentes qui nous ont été faites par ces écrivains célèbres et ces poètes français. Cependant, ne l'oublions pas, j'ai été formé au Lycée Français et j'en suis bien fière. Il est vrai qu'à mon arrivée aux Etats-Unis je me suis demandée si mes parents n'avaient pas fait une grave erreur et auraient mieux fait de m'envoyer plutôt à l'English Girls' College!

Je tiens tout d'abord à te remercier, cher Sandro, de nous avoir réunis pour célébrer le 40ème anniversaire de notre "bac". Mais comment t'exprimer ma gratitude pour m'avoir permis de voir se réaliser mon rêve le plus cher : celui de nous revoir et de pouvoir, enfin, nous dire "Au revoir". Il y a quarante ans, nous nous sommes quittés à la hâte. Nous nous sommes dispersés un peu partout, sur divers continents, sans laisser de traces et sans avoir pris le temps de vraiment nous dire "Au revoir". Ce soir, je vous dirai "Au revoir" et vous me direz "Au revoir". Ceci était si important pour moi et pourtant me semblait presque impossible.

J'ai été élève au Lycée d'Alexandrie depuis le Jardin d'enfants jusqu'à la classe de Philo en 1956. Je m'appelais à l'époque Joyce Magar. Cette même année, j'ai épousé un Alexandrin, Claude de Botton , et imaginais mon avenir entourée de ma famille et mes amis, vivant confortablement dans les coutumes familières de ma ville bien-aimée. Les événements de 56 ont tout fait basculer. Claude et moi sommes partis aux Etats-Unis, mes parents ont pris le chemin du Brésil et mes beaux-parents, celui de l'Europe. Et vous, mes amis? Qu'êtes-vous devenus? Dans quel coin du monde avez-vous atterri? Je n'en avais aucune idée.

Ma nouvelle vie dans mon pays d'adoption a commencé de façon assez dramatique. Tombée gravement malade à la veille de notre départ, c'est avec une forte fièvre que je me suis envolée vers Philadelphie. A notre arrivée, une ambulance m'attendait pour me conduire de suite à l'hôpital. Je délirais totalement. J'essayais de m'adresser aux infirmières et aux médecins, en français et en arabe, en vain...personne ne me comprenait. Je me rappelle avoir demandé à connaître ma température. On m'a répondu 104! Affolée, je me suis mise à penser que 42 de fièvre était déjà bien grave, et que, par conséquent, à 104 j'étais probablement dans un autre monde! Une fois remise, nous nous sommes installés dans un appartement minuscule avec nos quarante valises remplies de draps brodés, de nappes brodées, de lingerie brodée! C'est ainsi que ma vie de nouvelle mariée a commencé: laver à la main et repasser ce trousseau délicat pendant que les Américaines autour de moi fourraient gaillardement leurs linges dans les machines à laver automatiques. Enceinte et encore faible, je ne pouvais envisager de travailler ou me remettre aux études. Par ailleurs, je ne savais ni cuisiner ni faire quelque autre tâche ménagère. C'est avec ce sentiment d'incapacité totale que je me mis à écrire une lettre désespérée à ma mère:"A quoi bon la Philo au Lycée Français, le ballet au Conservatoire", me lamentais-je? Elle me répondit :"Je t'ai préparée pour être une "Lady" et non une cuisinière!" Mais la réalité fut une rude épreuve pour moi. C'est alors que je me souvins de l'expression égyptienne "Service à l'Américaine". Cela voulait bien dire: faire tout soi-même, sans l'aide d'une "fatmah"!

En classe, nous avions étudié l'Histoire et la Géographie de l'Egypte mais absolument rien sur l'Amérique. Ce sujet figurait toujours au dernier chapitre de nos livres que nous n'atteignions jamais en fin d'année! Durant mes débuts aux Etats-Unis, il m'arriva bien souvent de me cacher pour pleurer et me désoler de mon ignorance et de ma solitude. Il me semblait que nos nouveaux amis et connaissances savaient tout. Et moi, tout d'un coup, je ne savais rien. Quand on me demandait d'où je venais, ma réponse suscitait toujours une avalanche de questions: "Es-tu Egyptienne"? "Non." "Es-tu Arabe"? "Non, je suis Juive". "Tu parles le Français, es-tu donc Française"? "Non, mais j'ai eu une éducation française". "Mais enfin, qu'est-ce que tu es"? Que pouvais-je répondre? Je ne le savais pas moi-même. Avais-je donc perdu toute identité?

Il y a quelques années, je suis retournée en Egypte où Madame Sadate m'a invitée à lui rendre visite. Quelle ironie: sortie par la porte de service, me voici, quelques années plus tard, rentrant par la grande porte et accueillie par Madame Sadate que je considère comme une femme extraordinaire, une vraie "Queen of Egypt". Ce voyage fut mémorable. Notre première visite fut à mon ancien Lycée.

Je me suis retrouvée, debout, au milieu de la cour de récréation. J'entendais l'écho de vos rires, je voyais le visage de chacune de vous, tourné vers moi. Vous me regardiez. J'eus, soudain, le souvenir de nos récréations: nos jeux de saut à la corde et de carreaux avec notre pierre de marbre, nos goûters en groupe où nous échangions nos sandwiches préparés si soigneusement par nos mères. Et la queue chez Sambo pour un dessert, si toutefois nous avions ce jour là l'argent de poche de "notre semaine". Toujours pressées de nous rendre aux toilettes, ou de nous rafraîchir à la fontaine en essayant de boire, tant bien que mal, dans le creux de nos petites mains. Pressées de nous rendre en classe quand le son de la cloche annonce, hélas, la fin des jeux et le début des soucis : les compositions, les carnets de notes de la semaine, les uniformes, les punitions...Je voulais partager ces souvenirs, mais avec qui? Personne autour de moi ne pouvait comprendre. Et vous, où étiez-vous?

Aujourd'hui, grâce au travail de détectives et aux efforts incessants effectués patiemment par Sandro, Toy et Danièle, nous voici tous réunis à Paris. Il aura fallu quarante ans pour enfin nous retrouver! Quand nous nous sommes quittés, nous étions de jeunes insouciantes de dix-sept ans, et ce soir nous échangeons fièrement les photos de nos petits-enfants! Me voici Américaine, toi, Française, lui Suisse, elle Italienne, Anglaise, Belge, Israëlienne, Grecque, Brésilienne. Nous avons bâti des vies nouvelles dans des pays différents, nous avons appris à parler de nouvelles langues et fait de nouveaux amis. Mais à en croire l'explosion d'émotion suscitée ce soir par nos retrouvailles, cette joie totale, ce bonheur indescriptible, ce courant de sympathie qui nous traverse tous à cet instant, je réalise que notre amitié profonde a su défier le temps et les distances.

Nous pouvons enfin nous dire "Au Revoir et A Bientôt" car cette fois nous ne nous quitterons qu'après avoir échangé nos adresses, nos photos et nos bons souvenirs. En attendant, pour ma part, j'ai l'intention de me pincer très fort pour m'assurer que je ne rêve pas!!

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TEMOIGNAGE D'IRMA GARCIA MORELLO

 Alexandrie 1952 ... date mémorable ! Ce n’était pas un poisson d’avril, mais une triste journée où Walter et moi, nouveaux mariés, avons dit adieu à la famille, aux amis, au pays pour aller vers l’inconnu commencer une nouvelle vie !

 Alexandrie ! C’était notre enfance insouciante, notre jeunesse, l’amour en lettres majuscules, les belle plages d’Agami, à Aboukir, Alakefak, Beniamin et ses sandwichs de « fouls » et « falafels », les cinémas, la corniche et le Boulevard, la Gare de Ramleh où l’on grelottait en hiver en attendant le tram.

 Ce n’est que plus tard en Australie que j’ai réalisé que bien qu’étant née dans cette ville, je ne connaissais rien d’elle et de ses habitants. Je connaissais bien l’histoire de l’Ancienne Egypte, mais rien de l’Egypte moderne. J’avais vécu égoïstement jouissant de tout ce qu’Alexandrie pouvait m’offrir sans me soucier de mon prochain.

 Cependant nous, les Alexandrins, avons une chose en commun ; une jeunesse et une éducation privilégiée qui a fait de nous des êtres à part et qui nous a permis de réussir où que nous soyons.

 C’est donc ... « merci Alexandrie » !  

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ALLOCUTION DE NINO TEDESCHI

Je ne le connaissais pas, je ne l'avais jamais vu et encore moins entendu parler de lui.

Peut-être l'ai-je côtoyé au cinéma Concordia, un jeudi matin, lors d'un film de Flash Gordon, Big Gones, Kilo Maynar, The Green Hornet ou Zoro. A cette époque, la séance se passait aussi bien sur scène que dans la salle avec les vendeurs de Cacola-Beps et Tassali ya Leb qu'on arrosait généreusement sur la tête du voisin.

L'ai-je peut-être croisé un samedi soir au Mayfair Inn, la Pergola, ou dans une party à l'immeuble Cozzika ou ailleurs, chez Marlène, Hughette ou Joyce au son d'un "Again, this could n't happen again" ou bien d'un "Take back your Samba AY, your Conga Ay, your Rumba Ay, YA, YAY de l'inoubliable Edmondo Ross, ou encore d'un "Luna rossa, che mi sarai sincera...".

Etait-il à Stanley pour une partie de raquettes avec Tarzanou Bomba ou bien chez Hassan à la petite baie pour un sandwich de falafel!

Ou bien lors d'un derby de Basket St-Marc (avec le trio Catafago, Chalhoub, Sabounghi) contre le Recreation, Gamk/Homenetman, Milton/Ibrahimieh et la Maccabi contre tout le monde.

Il pouvait être ici ou ailleurs, mais nos chemins ne se sont pas croisés. Qui parmi nous a un certain moment de sa vie hors d'Egypte n'a souhaité revoir un ami ou un parent pour évoquer ses souvenirs de jeunesse. Beaucoup l'on fait, car ils avaient gardé le contact. Mais il aura fallu une personne plus opiniâtre que les autres pour arriver au bout de ce rêve. Grâce a un travail de fourmis, il a su réunir des centaines d'adresses d'Alexandrins de part le monde et les réunir dans ce grand rassemblement international que nous vivons ce soir.

Que de souvenirs évoqués, que de photos échangées, que de joies manifestées, que d'émotions. Certains auront dit "comme il ou elle a changé", "comme il ou elle a vieilli". Mais nous sommes tous à la même enseigne et l'essentiel c'est que notre coeur est resté jeune et que les amis de jeunesse sont les plus sincères et nos souvenirs immortels. Chers amis, ce soir, nous fêtons les premières retrouvailles et j'espère pas les dernières; Mais si nous sommes tous là, c'est grâce à cet homme exceptionnel que je vous demande d'applaudir, j'ai nommé Sandro MANZONI.

Il y avait déjà au 18ème siècle un célèbre écrivain Alessandro MANZONI avec son fameux livre "I promessi sposi", maintenant ils sont deux:

Chers amis, avant de terminer, je propose de nommer Sandro Maire Honoraire de la Ville d'Alexandrie d'Egypte.

Cher Sandro, par les pouvoirs qui me sont conférés par cette sympathique assemblée, je te fais Maire Honoraire à vie d'Alexandrie d'Egypte.

Une tendre pensée, des remerciements et des applaudissements chaleureux à toutes les personnes qui se sont dépensées sans compter pour rendre cette sacrée soirée possible : Toy, Joyce, Danielle, et les autres.

 CERTIFICAT REMIS A SANDRO PAR NINO TEDESCHI 

 

 

Cher Sandro,

Les deux jours à Paris ?

                     Ce fut une bouffée d’Alexandrie !

La joie et le bonheur que j’ai éprouvés

                     Furent au delà de ce que tu peux imaginer.

Ce voyage, je l’appréhendais !

                     Que retrouverai-je après tant d’années ?

Bien sûr, on a changé et pas à notre avantage

                     Que veux-tu, on a tous pris de l’âge

En retrouvant mes camarades de lycée

                     et une infime partie du corps enseignant

J’ai ressenti comme par le passé

                     toute la gamme d’émotions de mon cœur d’enfant

Je regardais ces vieilles photos

                     Sans dire un mot

Et regroupant ces instants magiques

                     En un film unique

Je vis toute ma jeunesse défiler

                     J’en suis encore émerveillée !

Dans la vie, on n'a jamais fini d’apprendre

                     Tu connais la chanson

Ce voyage m’a aidé à comprendre

                     Que toute réussite à sa raison

Qu’importe les rides, les cheveux blancs

                     Ou l’apparence

Avec de l’enthousiasme et de l’ardeur

                     Quelles meilleurs références

Pour farder toujours ... la jeunesse du coeur

                                              A bientôt,

                                                          Linette Perez-Louza

 

 

AAHA = Amicale Alexandrie Hier et Aujourd'hui : www.aaha.ch